Jérôme Azzola, doctorant LabEx, soutiendra sa thèse intitulé « Suivi géophysique non-conventionnel des réservoirs géothermiques profonds » le 14 mai 2020.
Abstract:
La surveillance des réservoirs profonds est un enjeu majeur pour le développement d’énergies renouvelables basées sur l’exploitation de ressources localisées dans le sous-sol. Ce constat est valable pour l’exploitation des ressources stockées dans des systèmes géothermiques améliorés (Enhanced Geothermal Systems – EGS). Dans le cas de tels réservoirs, l’exploitation est basée sur la circulation de fluides caloporteurs dans la croûte supérieure. Ces circulations interviennent à de grandes échelles, à travers des réseaux de fractures étendus. Dans ce cadre-là, le défi est de fournir une image précise du sous-sol aux différentes phases du projet, c’est-à-dire de l’exploration du réservoir, à l’exploitation de la ressource, en passant par le forage des puits et la stimulation du système. Le développement futur de tels projets repose sur nos capacités à mettre au point des méthodes de surveillance capables de suivre, à moindre coût, les propriétés physiques de la masse rocheuse et la déformation continue du réservoir. Il s’agit entre autres de détecter de potentiels déplacements asismiques et/ou d’éventuelles phases de nucléation, à l’origine d’événements sismiques majeurs.
L’une des techniques émergentes pour un suivi géophysique continue et peu coûteux de structures géologiques comme les EGS est la corrélation du bruit sismique. Il s’agit plus précisément d’appliquer des méthodes d’interférométrie d’ondes de coda (CWI) aux formes d’onde extraites de la corrélation croisée du bruit ambiant. En effet, lorsque la distribution des sources de bruit satisfait aux hypothèses qui sous-tendent l’étude, de telles méthodes permettent de suivre d’infimes changements survenant dans le milieu. Ceci est rendu possible en étudiant l’évolution de la partie tardive des enregistrements, nommée la « coda » en référence au mot latin désignant le nom « queue ».
Cependant, un lien clair entre les processus physiques impliqués dans l’évolution du milieu et les changements quantifiés par CWI, n’a pas encore été clairement décrit. De manière plus générale, l’interprétation des mesures de CWI en termes d’événement perturbateur est difficile : les mesures englobent l’ensemble des sensibilités du champ d’onde diffus étudié vis-à-vis des différents processus physiques impliqués dans l’évolution du système. Les méthodes de CWI, et en particulier l’interférométrie du bruit ambiant, permettraient potentiellement un suivi continu et à moindre coût du milieu, mais les signaux produits manquent actuellement d’une interprétation physique précise. Compte tenu de ce constat, l’approche que nous développons contribue à l’interprétation de ces mesures d’interférométrie, et ouvre de nouvelles voies à l’application de telles approches pour la surveillance des réservoirs géothermiques profonds.
Notre approche est basée sur le développement d’un schéma numérique qui vise à étudier la signature sur le champ d’ondes diffus – et donc sur les mesures de CWI – de la déformation élastique du milieu. Le formalisme proposé repose sur l’utilisation de deux codes de modélisation discrète, dont la combinaison permet de modéliser la propagation des ondes dans un milieu diffusif complexe lors de sa déformation élastique.
– À l’échelle du laboratoire, où les chemins de chargement appliqués à des systèmes simplifiés sont aisément contraints, le développement d’une telle approche numérique permet d’analyser les processus à l’origine des mesures de CWI. Il s’agit en particulier de tester les approximations nécessaires à retrouver numériquement les résultats d’expériences de laboratoire représentatives, et d’étudier ensuite le partitionnement entre les différents processus modélisés.
– Compte tenu du modèle analogique produit, nous développons un modèle numérique simulant la propagation d’ondes diffuses à travers un réservoir lors de sa déformation. En calibrant notre modèle sur le cas d’étude du réservoir géothermique de Rittershoffen (France), nous testons la sensibilité des mesures d’interférométrie vis-à-vis de scénarios de déformation caractéristiques de l’exploitation des réservoirs profonds.
Nos mesures apportent de nouvelles perspectives pour l’interprétation des signaux de CWI, en soulignant notamment la contribution de différents processus liés à la déformation élastique du système. Nous étudions plus précisément l’influence du changement de forme du milieu de propagation ainsi que l’impact de l’évolution des paramètres physiques des matériaux. La technique d’interférométrie permet potentiellement de détecter et de suivre les déformations liées à la stimulation ou à l’exploitation d’un réservoir, à différentes échelles spatiales et sur différentes périodes temporelles. Nos résultats ouvrent de nouvelles perspectives pour envisager de surveiller des déformations de réservoirs à l’aide de techniques basées sur l’analyse du bruit sismique ambiant, qu’elles aient une origine naturelle ou anthropique. Notre analyse fournit des arguments quantitatifs pour optimiser la surveillance des réservoirs profonds au moyen de telles méthodes sismiques.